« Entre deux armoires un étrange fauteuil est entreposé, il est presque intact, en bois sculpté, capitonné de velours. La torche révèle le film inhomogène de poussières, des empreintes de doigts et quelques petites auréoles alignées sur le dossier. Julie numérise sa couleur d’origine, je l’imagine violine. Il est placé devant une longue armoire métallique avec une vingtaine de tiroirs de quelques centimètres de haut. Je les ouvre, le grincement résonne dans la pièce, ce qui attire une partie de l’équipe. Des cartes géologiques, des plans de coupes de roches métamorphiques, un plan d’un site post-cinématique, des papiers manuscrits sur l’orogenèse hercynienne, et trois règles graduées sont retrouvés. Les autres tiroirs sont explorés: encore des cartes et des communications sur la crise pléistocène. Marie les imprime sur son carnet.
Comme tous ces termes restent obscurs pour la majorité de l’équipe, nous décidons d’évaluer la tôle des tiroirs. Naël approche l’instrument, d’une main le zoom pour la mesure, deux autres notent le lieu, l’heure, la taille, une captation visuelle est enregistrée. Il vibre. Félix ferme, et ouvre un second tiroir, la même vibration longue crispée qui se prolonge dans l’ensemble du meuble. Je devine la propagation élastique de l’onde acoustique à travers l’air, les figures géométriques sur la surface bidimensionnelle des microparticules de poussière, ces modes propres perturbés par le design fonctionnel et sobre du mobilier. Nous décidons d’ajouter le ténor et mon alto au premier saxophone. Je les écoute commencer, puis timidement j’ajoute mon souffle au chœur. Un dialogue de notes d’échos de bruits en accord comme un brouhaha d’émotions de découvertes sonores. Puis je cesse, les autres expirent, s’essoufflent, stoppent – tout est suspendu.
Nous écoutons l’onde explorer l’espace. Du silence, s’en suit nos sourires, nos regards, le zoom est éteint. Nous avons trop envie de recommencer, et les objets ne manquent pas, un coffre blindé, un chariot de serveurs, une œuvre d’art sanitaire, des armoires vitrées à roulettes. L’utilité de ces rangées d’étagères se révèle d’un coup, de la tôle plus ou moins instruite de livres savants, à perturber. Chacun choisit son domaine, le signal est donné, les mains se posent doucement, progressivement, écoutant le rythme du voisin puis l’océan se dilate, se crispe, les mains s’abattent plus vite plus fort, la zone est envahie, une tempête sonore où nos pauvres oreilles meurtries nous appellent à cesser. Certaines mains les protègent déjà les yeux se ferment, se plissent puis c’est le final violent, surexcité, éclatant. Alors nous écoutons l’exploration de ce brouhaha dans notre espace, l’accalmie progressivement se former, la fin de la tempête. »
extrait du journal de bord
Sonder par percussions collectives était la solution retenue, lorsque leur contenu était trop dense pour une fouille manuelle classique. Chaque étagère a un son suivant ce qu’elle supporte. On a constaté également que l’attitude de l’explorateur percussionniste pouvait varier/vriller suivant leur contenu. Ainsi, dans le dédale des couloirs alambiqués des sous-sol du musée résonnaient nos étagères sonores.
Au sommet du musée, étalonnage du caddie géant suspendu dans les airs, tambourinage et tapotis sur étagères pour l’organisation de nos documents.